Evacuation du cerveau

Publié le par Blackduck

Tiens, c'est vrai, j'ai un blog...

J'ai le crâne bourré à craquer d'histoires plus ou moins interessantes et trop peu de temps pour les dessiner. J'pensais en rédiger les scénar' "pour plus tard", mais "pour plus tard", chez moi, ça se transforme souvent en "jamais". Du coup, ces histoires, je n'en fais ni des bd ni des scénarii mais des nouvelles. En v'la une.

 

Y a pas de titre. J'ai pas réussi à en trouver un.

 

 

 

 

Je fus banni. Jeté dans un puits sans fond, sans procès, sans ménagement, sans humanité et surtout sans savoir ce qu'il y avait à savoir. Je crois que ça faisait partie de mon chatiment, l'ignorance. Lorsqu'on est emprisonné sans savoir ni pourquoi ni combien de temps, la souffrance est sans doute démultipliée.

La chute était longue. A bien y regarder -et c'était bien tout ce qu'il me restait à faire en attendant le fond- ce n'était pas un puits, mais un gouffre profond. Si profond.
Tellement profond qu'il m'a fallu trois jours environ pour me rendre compte que je ne souffrais ni de faim ni de soif.
Je chutais. Le vent permanent autour de moi, le son qu'il produisait étaient insupportables. L'incompréhension lorsqu'autour de moi les ténèbres laissaient place aux cieux, l'omniprésence de nuages, le manque de sensations, j'ai longtemps cru avoir loupé l'arrivée, être mort tellement rapidement que je ne m'en étais pas aperçu et qu'enfin j'étais aux portes du paradis. Après ce qui m'a semblé une eternité, j'ai alors pensé que nos religions se trompaient sur l'apparence du Purgatoire. Car c'est là que je me trouvais. Nulles flammes, nul démon, nul instrument de torture, un simple ciel, un soleil éclatant ou une nuit obscure pour le temps qui passe. Et ces nuages.

Mais je n'étais pas mort. D'après l'alternance des cieux diurnes et nocturnes, je tombais depuis près d'un mois.  Après une cinquantaine de jours j'avais complètement arrêté d'hurler et de pleurer. Il m'en avait fallu seulement dix pour ne plus sentir le vent et l'impression de tomber. Le creux dans mon ventre provoqué par le vide infini et la peur, eux, ne disparurent qu'après cinq cent jours environ.
La rage, la haine envers ceux qui m'avaient jeté dans cet enfer me tenaient à l'écart de la folie, me permettaient d'attendre le sol sans perdre conscience.

Avec le recul, jusqu'ici ça allait, en fin de compte : J'ai mis trois ans à comprendre que le sol ne viendrait jamais.

Trois ans, ça peut paraître long. Pour moi c'était bien au delà de la longueur, et j'ai quand même mis ces trois eternelles années à m'y résoudre. Parce que je ne voulais pas y croire. Parce que je ne pouvais pas y croire. Parce que cela signifiait que je tomberai  jusqu'à ce que je meure de vieillesse, de rage ou de folie.

Après dix mille jours de descente inexorable vers la folie et le vide, j'ai hurlé de nouveau. Quand je me suis regardé et que j'ai constaté que mon corps ne se déteriorait pas. Que je ne vieillirai pas. Que ma chute durerait pour l'éternité.  Que mon banissement, ma chute absurde, si lointains en arrière et en hauteur, étaient le plus grand sévice qu'on puisse infliger à un homme.

J'ai hurlé.

Après avoir perdu ma voix j'ai hurlé encore.
J'ai fait face au vent, douloureux à nouveau, et j'ai hurlé ma démence. Encore, et encore. Lorsque je me suis réveillé, j'avais perdu le décompte des jours. Je tombais sans savoir depuis combien de temps, immobile et le regard creux. Le désespoir n'existait plus, il s'agit là d'une émotion qui n'aurait pu découler que de ma résignation face à la mort. Et l'éternité du Purgatoire, l'infinité de ma chute, l'absence maintenant évidente de mort, tout ça ne laissait place qu'a la démence profonde.

Puis j'ai pu penser à nouveau. Au bout de combien de temps, oh peu importe : Les jours passaient comme des secondes. Ce temps, cet insaisissable temps n'était plus qu'une goutte d'encre diluée dans un océan de douleur mentale. J'ai pu penser. Il n'y avait plus ni monde, ni gravité, il ne restait plus que ma pensée. Et les mondes et sensations dont j'aurais pu rêver, tous se retrouvaient en moi. Je me réfugiais en moi, je ne me raccrochais plus à rien d'autre qu'a mon imagination.
Je ne rêvais que de choses solides, la chute n'existait plus. 
Bien sûr, je me perdais : J'avais oublié ce qu'était la musique, ou le goût. Mais les couleurs, réelles dans mon enfer, me permettaient de garder le cap, de construire des images mentales, un refuge, un cocon paradisiaque, un monde qui m'appartenait.

Je ne sais pas combien de siècles passèrent. Peut-être des millénaires. Car j'avais en moi un univers entier. Un univers sans puits et sans crevasses. Sans gravité. Avec des milliards d'habitants, tous plus colorés les uns que les autres. Chacun d'entre eux m'accueillerait chaleureusement en son foyer à chacun de mes passages. On parlerait du sol magnifique, si beau, si solide, si délimité. Ou de cet océan de cieux si lointains, si légendaires. Nous lancerions mille éclairs, nous jouerions, nous battrons parfois. Nous ressentirions mille émotions. Nous vivrions ensemble ou nous croisant mais tous me réconfortaient toujours, ou qu'ils furent. Parce qu'ils étaient, parce qu'ils existaient. Comme le sol que je foulais maintenant. Je ne vivais plus qu'en moi.

La haine, la rage, ça ne dure pas plus de trois siècles, je pense. C'est probablement le temps que j'ai mis pour oublier ces sentiments. Toute ma réalité était, depuis toujours celle que je m'inventais. Depuis toujours. Le reste, ce qu'il y avait avant « toujours » avait disparu depuis des milliards et des millards d'années. De ce temps éloigné comme les bribes de souvenirs d'un nouveau-né, je ne me rappelais que de mon nom. Il faut garder un nom lorsqu'on ne veut pas devenir fou. Mon désir d'un monde, de solidité, était si ardent, je ne pouvais pas le perdre dans les méandres des siècles ou dans ceux de la démence.

J'ouvrais de moins en moins les yeux sur ces cieux cauchemardesques dans lesquels je tombais inlassablement sans même m'en rendre compte. Puis j'ai atteint les limites de mon imagination. Il y avait en moi probablement deux mille ans de création de mondes, d'histoires ou d'univers solides et colorés.
Cette limite n'était pas une limite de quantité. C'était une limite de volonté : Je devais passer à autre chose. J 'étais prêt à accepter la folie pour ne plus fuir, pour faire mourir mon âme. Pour tuer mon ego. Je souhaitais qu'il ne resta que mon corps se débattant seul, ma conscience envolée depuis longtemps.

J'ai tout éteint. Mes sens, mes yeux, mes muscles. J'ai attendu, attendu. Il s'est écoulé cent ans, je le sentais, je le savais. Une vulgaire centaine d'année qui était passée aussi vite que le vent. Et nulle folie à l'horizon. Ni folie ni douleur, une simple conscience de tout mon être, de mon énergie vitale immortelle, pas de douleur. Les yeux fermés je pouvais voir mon corps, et ce n'était plus une création de mon esprit : C'était une faculté aussi réelle en moi qu'en dehors de moi. C'était la sérénité.

Il pouvait bien passer encore un milliard d'années, j'attendrai ce temps en toute quiétude, mon repos patient précèdera la folie, qu'il en soit ainsi.

Et j'ai atterri.

Un sol dont je ne rêvais même plus, là, sous mes pieds. Je me suis parfaitement receptionné.
J'ai atterri.
J'ai atterri.
Sans même mourir, j'ai atterri.
 J'ai atterri. Bon sang ce que j'ai pu pleurer, lorsque passèrent enfin choc et compréhension. J'ai pleuré d'avoir atteint un rêve oublié depuis les limbes de mon esprit et du temps, j'ai pleuré après avoir même atteint la sérenité. Le sol. J'ai pleuré. Comme un enfant. Comme un homme retrouvant sa femme qu'il croyait disparue depuis mille ans. Comme un vieillard mourant entouré de sa famille encore respectueuse et aimante. Comme un naufragé atteignant enfin sa terre après avoir nagé jusqu'à son dernier souffle.

Tandis que mon esprit se ressaisissait, mon corps lui, vibrait encore de milliers d'années de chute continue. Pas la moindre blessure physique, pas la moindre trace d'age, pas la moindre déterioration mais une vibration folle.

J'ai atterri.

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